PIERRE
Justement, change-toi les idées, viens avec moi, tu vas voir, c'est irrésistible, ces dîners!
CHRISTINE
C'est irrésistible d'inviter un malheureux pour se moquer de lui toute la soirée?
PIERRE
C'est pas un malheureux, c'est un blogueur bouffe, il n'y a pas de mal à se moquer d'un blogueur bouffe, ils sont là pour ça, non?
Marre de la moronnerie
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Ti-Jos pas connaissant
Être critique et être un critique
Le syndrome du même panier, c'est quand on prend six personnes sans visage, sans nom, qu'on note leurs inepties et qu'on annonce que c'est le lot des foodies et blogueurs bouffe. Ça adonne que dans ce sac réutilisable en jute tressée pris à l'expo végé dans lequel on vient de tous nous placer pêle-même, il y a de tout: des ignares qui bloguent, des cuisiniers qui bloguent, des journalistes qui bloguent, des passionnés qui bloguent, et surtout, pas mal de gens qui refusent spontanément l'étiquette de critique.
Si quelques individus aiment dire qu'ils font de la critique gastronomique, est-ce à dire que tous ceux qui écrivent sur les restos sur leur blogue se prennent pour un inspecteur Michelin? J'vous laisse deviner la réponse (on appelle ça une question rhétorique). Perso, j'ai toujours refusé de dire que je faisais des critiques culinaires. J'appelle ça des comptes rendus, soit le résumé d'une expérience, afin de mettre en lumière le fait que toi, moi, le voisin pis la matante qui commente toujours les statuts de Ricardo pouvons aller au même restaurant, le même soir, à la même table, et vivre une expérience différente. On appelle ça la subjectivité (eille, t'es à veille de refaire ton cours de philo de cégep, toé!).
Cependant, le fait de refuser l'étiquette de critique culinaire ne signifie pas pour autant que l'on s'empêche d'être critique. Les fées du sens critique se sont tout autant penchées sur mon berceau que sur celui de Marie-Claude Lortie, Lesley Chesterman ou Stéphanie Bois-Houde. La différence, c'est que je ne prétends pas être ce qu'elles sont. Je me permets d'émettre des réserves, des commentaires constructifs et des déceptions, mais je ne pose aucun jugement. Être blogueuse ne signifie pas se délester de toute opinion négative et n'encenser que ce qui est fabuleux. Là, on tomberait dans l'opération pub. À l'inverse, personne n'a le monopole de l'appréciation sous prétexte que c'est son boulot et qu'il en sait plus que nous. Ce savoir gastronomique, et la façon de l'exprimer, place le critique comme référence, non comme président à vie et membre exclusif du club des gens qui ont des opinions.
Quand l'existence même est un problème
Autre problème rencontré par les restaurateurs: les foodies qui s’improvisent critiques gastronomiques et publient sur un blogue leurs expériences et découvertes. Ce ne sont pas nécessairement des experts et leurs commentaires se révèlent parfois sans fondement.
— Philippe Mollé, «Les nouveaux foodies»*, Le Devoir, 12 avril 2014
Encore là, c'est la question de notre relative ignorance qui fait dire que notre opinion, que nous professons allègrement sur les réseaux sociaux, n'est aucunement désirée ni respectée. Seuls les experts ont droit de cité (ou de citer, c'est selon). Malheureusement pour eux, Internet et les réseaux sociaux n'ont pas grand-chose à faire avec la notion d'expert. C'est le royaume de l'opinion personnelle, avec ce que cela comporte tout à la fois de pertinence et d'inutilité. C'est la beauté de la chose: tout le monde a droit à son opinion, même si les opinions ne se valent pas.
Et puisque les opinions ne se valent pas toutes, il y a naturellement un système d'écrémage qui se met en place chez le lecteur. Cher critique qui s'offusque de notre présence et de notre discours, êtes-vous si convaincu que le lecteur doit être guidé, éduqué et dirigé que celui-ci est incapable de se rendre compte que certaines opinions sont de piètre qualité? Le lecteur qui tombe sur «se steak étai pas pire jai quasiment toute mangée, y'étai bien cuit mais pas trop non plus pis la sauce étai super bonne, jen ai commander deux fois telement quelle etai bon, genre une sauce comme de la St Huber en boite mais en plus meilleur» a, à mon avis, assez de jugeotte pour se dire que le top de la gastronomie de ce blogueur fictif serait probablement le Toujours 2 Pizzas. Si ledit lecteur aime le Toujours 2 Pizzas, il sera heureux de se fier à l'avis du blogueur; dans le cas contraire, il ne reviendra sur le site. Case closed.
Cela ne signifie pas que les blogueurs les plus connus sont forcément et automatiquement les plus savants. Par contre, cela signifie que le lecteur a le choix de ses lectures et que la tâche du blogueur n'est pas d'éduquer, mais bien de partager. De partager ce qu'il aime, ses goûts, ses passions: un blogue est par définition un espace personnel, rempli de «je» (et un brin égocentrique, avouons-le). Ce n'est pas le Larousse gastronomique, ni l'école Le Cordon Bleu. Comme chez les critiques, il existe des blogueurs plus savants que d'autres, plus érudits que d'autres, plus talentueux aussi. Il existe aussi des mauvais blogueurs, de ceux qui devraient cocher toutes les malheureuses épithètes ci-dessus, de ceux avec qui il est toujours douloureux d'être associé, de ceux dont on se défend bien de partager une même passion dans le cyberespace. Heureusement, ceux-là, un peu comme un hoquet, bien qu'irritants au possible, finissent par s'éliminer d'eux-mêmes.
Et soyons honnêtes quant à la puissance de notre influence: personne au Québec n'a le pouvoir, d'un seul tweet ou d'un seul billet, de ternir la réputation d'un chef ou d'un restaurant. Nous ne sommes pas si dangereux, si ce n'est pour votre tour de taille.
Comme il faut rendre à un certain gars ce qui appartient à un certain gars, je tiens à dire que l'idée du Dîner de cons est tirée d'une discussion avec Le sommelier fou. Vous devriez lire son blogue le 26 avril, paraît que ça sera juteux, epic et plein d'autres adjectifs.