Chaque mot est désormais pesé, calculé, mâché, mesuré, réfléchi. Et si c'était pas le bon mot? Et si j'étais plate? Et si cette blague de dinosaure semblait forcée? Et si ma chute, au lieu de faire hurler de rire, faisait pleurer de ridicule?
Mettre ses tripes sur la table (au propre comme au figuré) n'est jamais facile, même quand on les arrose de crème.
Bloguer est d'abord et avant tout un travail de la langue, quoiqu'en disent les gourous de l'image, les pros du web et autres Pokémon du marketing (c'est japonais comme les ninjas, et pas mal plus puissant qu'un ninja, si tu veux mon avis; as-tu vu la dernière évolution de Pikachu? Ça torche en pas-pour-rire.)
Quand la langue, c'est aussi ton outil de travail, ce qui te permet de payer le loyer, l'épicerie et toutes les petites robes à motifs de chats, ben tu deviens rapidement obsédée par les mots, par ceux que les autres t'adressent, par ceux que tu retiens aussi parfois.
Ces mots-là, les bons qu'on te sert, te font avec le temps l'inverse d'un compliment: au lieu de te rassurer, de te mettre de la chaleur dans l'coeur comme un four à 450°, de t'faire mouiller les coins des yeux de gratitude, ben ils te figent. Te coupent le sifflet, le souffle et l'air d'aller sur un moyen temps. Comme si à chaque phrase que tu tapais, t'avais un p'tit Matthieu Dugal (nom fictif), un p'tit admirateur connaisseur, un p'tit maudit intellectuel cultivé, juste un p'tit lecteur plein d'espoir qui lit par-dessus ton épaule pis qui t'dit «Isssh, vas-tu vraiment écrire ça? Sérieux, t'as pas moins cliché? Plus original? Plus drôle? Fille, tu m'déçois en bout d'viarge.»
Tsé, dans l'fond, je l'sais ben que mon mini sosie mental de Matthieu Dugal, c'est une belle métaphore à lunettes pis toupet conçue par mon esprit pour symboliser ma crainte de l'échec, mon perfectionnisme, mon «je prends tout à coeur»-isme pis toutes ces autres bébelles de fille insécure qui écrit énormément pour les autres les deux doigts dans le nez, mais qui est incapable de sortir ces mêmes doigts de son cul pour se le botter histoire d'écrire pour elle.
À quoi ça mène, ton pleurnichage, fille, que tu m'demandes? (Et la réponse n'est pas: à un roman présenté comme la voix de notre génération perdue, thank God.) À ça: si ça te tente d'écrire pis d'bloguer, y'a une belle règle à suivre à mon avis, pis tu vas voir, c'est ben ben facile, autant que d'te faire une beurrée d'beurre:
N'attends pas qu'on te lise
pour te faire plaisir
J'ai menti. C'est pas si si facile que ça. Y'a une corollaire à c'te règle-là: aime les mots. Frenche-les à plein clavier, fais-les danser sur du gros beat dans WordPress, donne envie aux gens se s'pitcher dans leu' char pas chauffé à -40 pour faire une demi-heure de route juste pour un croissant que t'auras vanté. Même pas besoin de photos. Raconte-moi ce que tu aimes pis fais-moi tripper. Tu veux m'parler de jeux vidéo pis d'horticulture pis de hockey pis d'élections pis de tricot au crochet pis d'rivières en péril pis de smoothies au tofu soyeux? Vas-y. Ton blogue va ratisser large en ciboulot, mais c'pas grave. Si tu m'en parles avec toute ta passion, je vais me faire prendre au jeu moi aussi.
Raconte-moi des histoires. C'est tout ce que je veux lire. Moi, je vais aller tricoter les miennes, en essayant de laisser mon p'tit Dugal dans son coin. J'vais lui dire de se taire pis d'me laisser écrire comme ça m'tente. Ça s'peut que je sois plate comme Michel Butor, mais j'réussirai ben à un moment donné à te faire rire au moins une fois. Peut-être que lui aussi (Matthieu, là, pas Michel Butor, anyway y'é mort... oups, non, pas selon Wikipédia, fausse alerte) va rire une fois. Et s'il revient me dire qu'il me trouve pas pire, je vais juste dire merci, me fermer la trappe pis partir à 450° le four de mon coeur.